Remember • LIBRE

Le soir tombait, le soleil de fin de printemps étirait l'ombre des menhirs avec grâce. Ce monde orangé, Serian l'admirait d'un regard éteint. Il ne cherchait qu'une chose : elle. Eileen.

Il n'avait plus vu sa douce silhouette depuis des mois. Elle avait compris qu'il risquait sa place de druide en la voyant. Elle lui avait fait promettre de ne pas revenir la voir. Pas tout de suite... Et lui, adorant qu'il était, il avait pris sur lui. Il avait attendu sans la voir. Voilà qu'il devenait fou et la voyait n'importe où.

Il se souvenait de l'odeur qu'il avait perçue lorsqu'il l'avait rencontrée. Une douce odeur d'air frais, de fruit d'été,... Cette odeur mainte fois respirée au cours des dernières visites s'estompait peu à peu de la mémoire de Serian.
Ce soir, il voulait la retrouver.

Serian rejouait en boucle le scénario rêvé dans son esprit. Il aurait dû se montrer ce soir-là, aider Eileen, lui tendre une main rassurante. Bien qu'il se soit rapproché d'elle, le druide savait que le coeur de sa petite humaine était déjà pris.

Les yeux fermés, Serian vivait la scène. Il revoyait Eileen apparaître devant lui, il entendait ses pas hésitants et son souffle inquiet. Il sentais sa douce odeur mêlée à celle des bois. Il profitait de sa silhouette sous la lune. Il entendait...
... un bruit félin.

Aucune bête n'était apparue en même temps qu'Eileen, ni dans aucun des rêves de Serian. Aucun fauve n'avait fait irruption dans ce moment magique. Serian ouvrit les yeux et pivota sur lui-même en un fragment de seconde. Il sortit de son long manteau un bout de bois grossièrement taillé et sculpté, lui servant, à l'occasion, de baguette. Il pointa l'instrument en direction du bruit qu'il avait entendu. A sa grande surprise, aucun animal ne se tenait là. Mais un druide. Un homme. Dans l'obscurité tombante, Serian ne distingua pas son visage.

"Bonjour mon cher Serian. Vous vous êtes perdu ?"

Le vouvoiement n'étonna pas Serian. Il lui permit seulement de deviner qui se tenait en face de lui. Le Grand Mage. Valkoor.
Le jeune druide se courba légèrement en guise de salutations.

"Bonsoir Valkoor. Je me promenais simplement. Je pars très souvent pour ce genre de balade, j'aime beaucoup venir ici."

Malgré son ton qu'il espérait détaché, Serian ressentait une boule au creux de la gorge. Eileen n'était pas particulièrement un secret, mais il ne voulait pas parler d'elle au premier venu. Et Valkoor, tout Grand Mage qu'il soit, ne faisait pas partie des individus auxquels Serian aurait pu être enclin à dévoiler ses sentiments. Il regarda néanmoins le mage dans les yeux, lui renvoyant tacitement la question posée plus tôt.

Serian marchait lentement, laissant le Grang Mage se dandiner à son aise près de lui.

"En effet, c'est un très bel endroit pour se promener. Moi même j'adore m'y promener la nuit, c'est plus tranquille. Et le bruit des criquets, quelle merveille!"

Valkoor s'étira d'un air heureux pour ponctuer sa phrase. Serian, lui, fixait l'horizon, invisible dans l'obscurité du soir, d'un air absent. Eileen était tout près. Tout près de lui. Dans sa tête. Il la distinguait derrière un menhir du dolmen l'espace de quelques secondes, puis elle disparaissait, fuyante. Etait-ce un signe, un conseil ? Elle se cachait, peut-être voulait-elle rester un secret...

Pourtant Valkoor, avec son sourire naturel et son regard tranquille, n'avait pas l'air de représenter un "danger" quelconque. Bien que Serian ne lui aurait pas confié ses sentiments les plus enfuis... Mais il y avait quelque chose, une envie de faire confiance, qui se faisait ressentir peu à peu. La solitude avait pesé longtemps sur Serian. Aussi longtemps qu'Eileen l'avait laissé dans l'attente de nouvelles.
Il avait envie de tout raconter.

Le crissement des branches et des feuilles sous ses pas le tira de ses pensées. Valkoor n'avait rien dit de plus, comme s'il avait respecté la rêverie de son confrère. Et le sentiment de confiance se renforça dans le coeur de Serian. Il hésita.

"En fait, Valkoor, je..."

A peine avait-il prononcé ces mots que Serian se tut. Sa voix ne lui paraissait pas assez naturelle. Le Grand Mage sentirait sûrement qu'il "trahissait" sa race en aimant cette humaine.
Mais il était certainement trop tard pour faire marche arrière...

La silhouette de Valkoor se tenait à côté de celle de Serian, s'assombrissant au fur et à mesure que le soleil s'éloignait de l'horizon. Le ciel était passé du rouge au gris et précipitait peu à peu son gris vers le noir. Quelques oiseaux s'entêtaient à pépier dans l'air frais en restant à l'abri des arbres. Le silence de Serian ne s'entendait pas dans cette musique discrète du soir.

Aussi imprévisible qu'il pouvait l'être, Valkoor fendit l'absence de paroles par quelques mots.

"Tu sais Serian, il ne faut pas avoir peur de l'amour. Si tu aimes une personne et que c'est réciproque, fonce !"

Serian ravala un rictus amer. "Si tu aimes une personne et que c'est réciproque, fonce !" Valkoor avait bien des facilités à dire une telle chose. "Fonce !" Oui, c'était facile à dire, à imaginer même. Mais Valkoor ignorait qu'Eileen était humaine.
Et Serian n'ignorait pas qu'il n'avait aucune chance.
Sa place était prise.
Et ça, Valkoor, grand sage ou pas, n'y avait pas pensé.

Baissant la tête, Serian se contenta de souffler :
"Oui... Sans doute..."

Il y eut un nouveau silence entrecoupé de gazouillis de plus en plus timides. Serian espérait que l'obscurité dissimulerait aux Dieux eux-mêmes son regard perdu, sa mâchoire serrée. Il aurait voulu se trouver à des kilomètres de Valkoor, ne pas avoir à l'entendre parler d'Eileen sans la connaître. Et puis...

Non. Valkoor ne parlait pas d'Eileen. Il parlait d'une personne. Une personne comme une autre, sans nom, sans visage, sans race. Eileen n'était pas une personne comme les autres, elle avait un nom, elle avait un visage, et elle était humaine.

Serian aimait cette humaine.

Toujours sous mon arbre, j'admirais doucement ce tendre paysage nocturne. Les gazouillis se fîrent de plus en plus rares, chose normale puisque la pénombre s'étendait désormais à perte de vue dans Crömkesh. Les lucioles se mirent à danser autour de moi et je pûs alors percevoir les alentours. Ce que je vis n'est qu'un jeune homme éprit d'amour pour une personne, perdu dans sa mélancolie.... sûrement son âme-soeur, devinais-je. Je le regardai avec compassion. Pauvre homme, pourquoi son amour était t'il impossible? Pourquoi se faisait t'il tant de mal...? Pourquoi ne lui avouait t'il pas la flamme qui anime l'antre de son âme? Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi? Mille et une questions se bousculèrent dans ma caboche de sage. Je le regardai avec un regarde perçant, disséquant chaque image que mes yeux envoyaient à mon cerveau, analysant chaque geste qu'il faisait. Oh, cher Serian, J'implore Undine pour qu'elle apaise tes souffrances.

Le silence était redoutable et une atmosphère des plus tendues rôdait aux alentours. Une odeur de peur et d'incompréhension flottait dans l'air faisant fonctionner à pleine vapeur ma machine cérébrale qui trônait sur mon corps inerte. Je ne bougeais toujours pas un poil,finalement décider à ce que ce soit ce tendre amoureux qui parle le premier pour qu'il décide enfin de me laisser la clef de son coeur blessé, pour aller y puisé les émotions douloureuses qui y sont enfouies dans le coffre-fort battant la chammade.

Toujours rien. Même pas un regard dans ma direction.

""Serian... écoute moi bien cette fois ci!"" je me levé et bondis sur mes jambes, lui prenant le visage de mes mains blanches, pûres. ""Cesse de te faire du mal, mon vieux. Tu l'aimes? Alors il est où le mal?"" je dirigeai son regard dans le miens ""Serian, Regarde moi!"" dis-je d'une voix impérative ""J'aime une vampire!!! Je l'aime et je n'hésiterais pas à lui donner tout mon sang s'il le fallait. Qui qu'elle soit.... ou il soit... Tu sais que je m'en moque. Les druides sont certes un peuple soudé, mais il n'est pas raciste!! Serian....oh serian. Arrête de te faire du mal!!! "" J'avais le goût de le giffler, mais je ne le fit pas. Ce geste aurait été trop brutale pour la jeune âme en peine.

je ne fit que le toiser de mon regard pour le bousculer un peu et qu'il réagisse.

Il y avait tant de compassion dans l'attitude et surtout dans la voix de Valkoor... Mais tout ce cinéma dégoûtait Serian. Il ne voulait pas de tout ça. Rien de ce que disait le Grand Sage ne pouvait le réconforter, et ce n'était en rien une faute de volonté. C'était juste une question d'implication. Valkoor n'était pas impliqué dans cette histoire, dans ces malheurs. Serian était seul, une fois de plus, face à son histoire.
Seul face à Eileen.

Toujours sans se tourner vers son confrère druide, Serian baissa la tête. Une perle liquide menaçait de paraître au coin de son oeil, mais il la retint. Non tant par fierté que par colère. Il ne voulait pas que tout ce travail d'apaisement retombe à l'état de néant en quelques minutes à peine. Il n'avait encore rien dit à Valkoor, il ne pouvait pas craquer pour si peu.

Si seulement il pouvait la revoir...

Et puis... Pourquoi pas, après tout ? Il pouvait la revoir. Plus ou moins. Il pouvait revoir les ombres de ses souvenirs, au sens propre du terme.

"Un petit dessin vaut mieux qu'un grand discours, il paraît..."

Levant la tête, sa main suivant ce mouvement, Serian se tourna vers les dolmens. Le vent souffla, emportant avec lui le murmure de Serian.
Demon umbra

L'air sembla se figer un court instant, le vent souffla une nouvelle fois, balayant des feuilles sur son passage. Une ombre se forma peu à peu au centre du dolmen. Une jeune fille, encore juvénile, les cheveux mi-longs, le regard brillant malgré sa noirceur de nuit. Serian fut parcouru d'un frisson. Ce n'était pas Eileen, certes, une simple copie d'un noir uni à pleurer. Mais comme elle était belle ! Ces courbes, cette harmonie dans ses mouvements, cette voix qui revenait dans la mémoire du druide...
Serian frémit, sa voix trembla lorsqu'il prononça ce seul nom :
"Eileen..."