Histoire
Histoire: "Foehn !"
Hein ? Quoi ? Qu'est-ce que c'est ? J'ai mal... à la tête... Tout est noir...
"Foehn ! Ouvre les yeux !"
Qui donc tient à moi au point de me supplier ? Pourquoi ouvrir les yeux ? Ils sont ouverts ! Mais je... il fait noir. C'est anormal... Mes yeux sont ouverts, ils sont...
"... fermés."
° ° °
"Réveille-toi, gamin !"
Il se réveille en sursaut. Un seau d'eau vient de lui être jeté sur la tête. Il baisse les yeux vers sa chemise trempée. Sa chemise... Non. Ce n'est pas la sienne. Mais d'où vient-elle ? Qui la lui a...
"Ha là là. Trop de questions dans ta tête, gamin..."
Il tourne la tête vers l'étranger qui vient de soupirer. Qui est-il ? Où l'a-t-il trouvé ? Et, surtout, où l'a-t-il emmené ?
"J'ai dit trop de questions !"
Quoi ? Il devine ses pensées ? Comment fait-il pour lui répondre sans avoir entendu ses interrogations ? C'est impossible. Ou alors cet homme doit être...
"Je ne suis pas sorcier, si c'est ce que tu penses, gamin."
"Oh, je... je... Pardon. Mais... Eh ! Comment vous savez ce que je pense ?""Je suis vieux et tu n'es pas le premier gamin perdu que je recueille. L'expérience. Crois-moi, ça aide."
"Qu... Quoi ? J'ai du mal à suivre. Où est-ce que je suis ? Pourquoi je suis avec vous ? Je ne vous connais pas...""Chaque chose en son temps, gamin ! Dis-moi d'abord comment tu t'appelles !"
"Foehn. Foehn Nox. Et vous, vous...""Enchanté, Foehn ! Je suis Hervatien Herby Goolh Danaphell. Appelle-moi Goolh, comme tout le monde."
"Heu... Enchanté, Goolh...""Bon. Je crois que ta tête va exploser. Arrête de te poser des questions, je t'ai dit ! Je vais tout t'expliquer, mais rien ne sert de se presser..."
Il ne dit rien. Goolh doit vraiment être doué de pouvoirs magiques, pas possible autrement... Et, le reproche ayant été fait plus d'une fois, Foehn préfère se taire. Oublier toutes ses questions. Ou, du moins, s'y éforcer...
"Alors. Comment tu es arrivé ici... C'est ta première question j'imagine. Je t'explique. Je t'ai trouvé allongé sur le sol, à quelques pas d'ici. Ce n'est pas la première fois que ça arrive, je sais ce que je dois faire dans ce cas. Mais toi, il t'ont particulièrement amoché. Ils avaient quoi ? Des fourches ? Des lances ?"
"Pas des bâtons en tout cas."Il se tourne, vif comme l'éclair, vers la porte de la pièce. Là d'où est venue cette voix. Elle lui est familière mais sa vue est encore un peu trouble et il ne distingue pas les traits de la personne qui se tient dans l'ombre, à l'entrée.
"Ah. Tu es réveillé. Désolé de ne pas t'avoir prévenu. Je pensais que tu le verrais bien assez tôt. Il ne faut pas le brusquer, il hémerge d'une sale affaire, ne l'oublie pas."
"Je ne l'oublie pas. J'étais là. Je sais comment c'était : bien trop violent.""C'est vrai... Hahum. J'en reviens à ma question. Des fourches ? Des lances ?"
"Je...""Les deux. Ces connards avaient les deux, et même plus. Tout ce qui coupait, tranchait, blessait ou tuait pouvait leur servire."Le dernier arrivé se décale de la porte et Foehn voit son visage. Il ne le reconnait pas tout de suite mais il lui est familier. Il faut dire que ce visage est meurtri, bleuit par endroit,... Ils ont dû s'en prendre à lui.
"Merci pour ces précisions, Flynn. Mais j'aimerais voir si ton ami n'a pas de séquelles au niveau de la mémoire."
Flynn... Flynn ? Mais oui, Flynn ! C'est lui. Il était là, avec lui, Foehn s'en souvient. Il était là... Mais c'est où "là" ? Sa tête est lancinante. Il ne sait pas se concentrer.
"Hum... Flynn, tu veux bien sortir, s'il te plaît ?"
"Ok, j'ai compris."Flynn sort de la pièce. Goolh ne le quitte pas des yeux jusqu'à ce que son ombre disparaisse du pas de la porte. Puis il se tourne vers Foehn. Son regard est neutre, spectral.
"J'en sais assez sur leurs armes. Je t'explique la suite. Ils te pourchassaient sans doute. Comme ils en ont poursuivis bien d'autres avant toi. Sauf que, pour une raison que j'ignore, ils étaient bien plus violents. Ton ami essaie de réfléchir lui aussi à ce problème... Il a été moins atteint que toi. Je pense qu'il s'est défendu plus que tu ne l'as fait. D'après lui, tu n'as fait que te jeter dans la mêlée pour t'en sortir. Ils..."
"C'est qui, "ils" ?""Quoi ?"
"Ceux dont vous parlez, c'est qui ?""Eux ? Les chasseurs, évidemment. Les villageois. Peut-être même quelques animorphes parmi eux..."
"Des animorphes ? Pourquoi ?"Goolh ne répond pas, il détourne les yeux. Foehn n'y fait pas attention. Peut-être que le vieil homme ne connaît pas la réponse... Il profite de ce moment de vide pour détailler la pièce dans laquelle il se trouve. Grande, ronde, avec une large fenêtre découpée adroitement dans le mur en une forme improbable, un tapis bleu pâle sur le sol, une commode, une chaise, un sabre appuyé contre l'armoire, un tabouret, un...
Un sabre !
SON sabre !
Foehn saute du lit et court vers la lame étincelante qui trône contre le bois foncé du meuble.
"VIHA !""Foehn, je ne pense pas que..."
Goolh se lève brusquement de sa chaise. Foehn atteint le sabre et s'appuie contre le mur. Goolh s'approche de lui, il pose une main réconfortante sur son dos. Foehn serre les dents, il retient un gémissement. Une brûlure court tout le long de son côté gauche. Il appuie sa main sur ses côtes. Rien ne change. La douleur le transperce. Goolh le maintient et le ramène dans le lit. Foehn tend une main faible vers le sabre.
"Vi... Viha...""Ne bouge pas, tu n'es pas rétabli. Pas du tout."
Foehn se laisse faire. Il remarque que sa main est rouge. Rouge sang... Il préfère oublier. S'oublier. Ne plus avoir mal. Viha. Il veut Viha !
"Tu l'auras après, ne t'en fais pas."
La voix de Goolh résonne comme celle d'un dieu. Foehn lui fait confiance, même s'il ne le connaît que depuis quelques minutes.
"Je crois que je peux t'expliquer tout ça sans nouvelle interruption ?"
Foehn hoche la tête en regardant le vide devant lui.
"Les villageois t'ont pourchassé. Ils veulent ta peau, c'est évident. Tu n'as qu'une douzaine d'année, c'est normal que tu prennes du temps pour t'en remettre... Flynn m'a dit que vous avez vite été cernés. Il a sorti son épée et a tenté de se défendre, voire de se cacher ou fuire à la première occasion. Toi, tu as foncé dans le tas en embrochant tout le monde. Crois-moi, ça a attisé la haine du village."
"Hin. Vous croyez que c'est pour quoi qu'elle s'appelle Viha, cette lame ?"L'air sarcastique peint sur le visage de Foehn ne déstabilise pas Goolh qui le fixe droit dans les yeux.
"Tu n'as pas besoin de cette... Viha."
"Bien sûr que si ! Viha est toute ma vie !""Tu comprendras en temps voulu, Foehn... Bon ! Comme je te le disais, vous avez été attaqués. En fonçant sans regarder, tu as fini par t'attirer toute l'attention de la foule. Il s'en sont pris à toi. Flynn a pu partir. Tu as fini dans un sal état, à terre, le côté déchiré. Flynn est revenu te chercher, et je vous ai trouvés en entendant ses plaintes."
"Tant qu'il va bien..."Goolh prend un air encore plus sérieux et appuie ses coudes sur ses genoux, de manière à rapprocher son visage de celui de Foehn.
"Depuis quand vous vous côtoyez, Flynn et toi ?"
"Ben... Depuis toujours.""Sérieusement, Foehn."
"Ok. Depuis qu'il m'a aidé à sortir d'une forêt alors que des loup-garous me couraient après.""Tu as l'art de te faire des amis..."
Le ton ironique de Goolh n'affecte pas Foehn. Il s'en fiche, même. Goolh s'en rend vite compte.
"Merci pour ces précisions. Flynn ! Tu peux venir ! A plus tard, Foehn."
Goolh s'en va et laisse Flynn entrer et prendre sa place. Foehn le regarde un instant. Un silence plane un moment.
"Tu lui as dit ?""Pour les armes ?""Non. pour la forêt.""Oui...""Ah bravo, Foehn ! On peut vraiment pas compter sur toi !""Hey ! Essaie un peu de lui tenir tête ! Il dégage un truc, ce type ! J'y peux rien ! J'suis sûr que c'est un sorcier !"Flynn croise les bras sur son torse et détourne les yeux. Foehn le fixe.
"Non, Foehn. Goolh est pas sorcier. Il est juste...""...expérimenté. Je sais.""Il t'expliquera, Fo'. Le moment venu, il t'expliquera..."Flynn quitte la chambre. Le silence s'installe. Foehn se tourne vers Viha. Il veut l'avoir à ses côtés. Il veut sentir le fil de la lame dans le vent. Flynn a-t-il oublié Ilo ? Ne pas y penser, ne pas y penser... Qu'est-ce que Goolh est censé lui expliquer ? La bataille ? C'est déjà fait. Lui aurait-il menti ?
° ° °
Les jours passent et Foehn ne parle à Flynn que rarement. Entre temps, Goolh passe voir comment vont ses blessures... Et puis,
le jour arrive. Goolh lui explique.
"Foehn ?"
"Oui ?""Tu n'es pas humain."
Il se fige.
"Qu... Quoi ?""Tu fais partie d'une race ancienne, une race que nous croyions disparue depuis des années..."
"C'est faux.""Tu es un Jaguarian."
"C'EST FAUX !""Tu es un Jaguarian, Foehn, que tu le veuilles ou non. Et Flynn est un loup-garou."
Foehn manque de tomber. Il est à peine rétabli et le choc est trop grand. Il tombe finalement à genoux. Flynn... Non, pas Flynn ! Pas lui ! Pas des animorphes ! C'est trop à digérer... Il se relève, vacille, retrouve l'équilibre, part en courant et s'enferme dans la chambre.
Tout s'explique, maintenant. Les villageois et les animorphes qui s'en sont pris à eux... Les dents pointues qu'il a toujours eues... Ces mystères qui planaient autour de Flynn et lui...
Il comprend.
Il est perdu.
Un seul remède.
Viha.
° ° °
"Foehn ! Tu as encore fait parler de toi !"
"Encore ?""Pfff... J'ai rien fait...""Tu vas me dire que ces hommes se sont découpés en morceaux tous seuls ?"
"QUOI ? A CE POINT ?""J'ai rien fait, j'ai dit !""Bien sûr... Comme toujours..."
"MAIS J'AI RIEN FAIT !"Foehn se lève, s'en va et claque la porte. Flynn se tourne vers Goolh.
"Sérieux, il a fait quoi ?""On a retrouvé des hommes morts, déchiquetés par une lame précise, pas loin de la forêt."
"Pas de preuves que c'est Foehn ?"Goolh soupire.
"Pas vraiment, non."
Flynn se lève, s'en va et ferme la porte délicatement. Goolh soupire.
"Foehn !""Barre-toi, Flynn.""Arrête, Fo'. Goolh a pas d'preuves. Personne en a.""Du coup c'est pour ma gueule.""Lui en veux pas, Fo'. Il vit avec deux animorphes censés s'entretuer. J'comprends qu'il veuille pas prendre de risque...""Mouais..."° ° °
"Foehn, Flynn, demain est un jour spécial !"
"En effet...""Foehn ?"
"Je sais.""Hey ! 165 ans, c'est pas rien !""T'en as 164, Flynn. Et encore, t'en auras 165 dans trois mois...""Et alors ? J'ai le droit de t'admirer."La soirée s'écoule tranquillement. Flynn retrouve Foehn sur la terrasse, le ciel noir au-dessus d'eux.
"Sérieux, Fo', t'as pas hâte d'avoir tes 165 ?""Pas spécialement.""C'est à cause de ce jour-là ?"Foehn baisse la tête. Oui, c'est à cause de ce jour-là. Il passe sa main sur son côté gauche. Flynn perçoit le mouvement. Il saisit sa main et soulève la chemise de Foehn.
"Hey ! Regarde un peu ! T'as plus rien, Fo' ! T'es en vie et t'as plus rien, t'es guéri !"Foehn retire brusquement sa main de celle de Flynn.
"Non, Flynn ! Je suis pas guéri !""Ben... si... tu vois bien...""En effet, Flynn, je vois très bien ! Toi... Toi, tu ne vois rien ! T'as soulevé ma chemise, et pourtant... T'as pas vu la cicatrice. Et c'est pas la seule que j'ai, j'en ai pas que des souvenirs physiques, de ce jour-là."Flynn reste là, bouche bée, honteux d'avoir osé oublier ça.
"Flynn...""Foehn ?""Un jour... Un jour, on les battra. On gagnera cette bataille !Le vent se lève. Flynn regarde les longues mèches de Foehn voler devant ses yeux. Il est sérieux. Si sérieux... La victoire, il la veut, ça se voit.
"Compte sur moi, Fo'."Foehn esquisse un sourire à peine visible. Dans le noir de la nuit, il resserre la main sur...
Viha.